Profession : reporter en danger

Berne, 01.09.2020 - Discours de la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga à l’occasion de l’événement sur la liberté de la presse à la veille de l’Assemblée générale de l’ONU 2020, Genève, le 1er septembre 2020

(Seul le discours prononcé fait foi)

Madame la Haute-Commissaire aux Droits de l’Homme,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants de la presse,

Dans mon pays, la Constitution dit que l’on mesure la force d’une communauté à la façon dont elle traite le plus faible de ses membres. J’en suis profondément convaincue.

Comme je suis convaincue qu’une démocratie se mesure aussi à la façon dont elle traite ses journalistes, ses dessinateurs, ses reporters, ses photographes de presse.

Or aujourd’hui, de plus en plus, la peur empoisonne le travail des journalistes dans le monde.

  • Le nombre de pays considérés comme sûrs pour eux se réduit. Les régimes autoritaires se montrent de plus en plus répressifs envers les médias indépendants.
  • Les intimidations, les menaces et les attaques contre les journalistes ont atteint une ampleur et une gravité alarmantes.
  • 90% des homicides de journalistes restent impunis.
  • Des journalistes ont été tués alors qu’ils enquêtaient pour informer l’opinion publique sur des affaires d’intérêt public comme la corruption, l’évasion fiscale ou le crime organisé.

En prélude à la 75e assemblée générale des Nations Unies, la Haute-Commissaire aux Droits de l’Homme Michelle Bachelet et moi-même avons donc décidé de consacrer l’événement d’aujourd’hui à la liberté d’expression et la liberté de la presse, garantie par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 :
« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.»

Faire respecter la liberté d’expression et la liberté de la presse, c’est l’affaire de chaque Etat. Pour le bien de nos citoyennes et de nos citoyens et pour que vive la démocratie, nous devons avoir un cadre juridique qui protège l’intégrité physique et morale des travailleurs des médias afin qu’ils puissent faire leur travail, c’est-à-dire : chercher la vérité et informer la population. Par contre, les lois liberticides qui les réduisent au silence ne sont pas compatibles avec les droits de l’homme.

POURQUOI protéger la liberté de la presse

Pourquoi protéger la liberté de la presse ? Pour protéger la société tout entière.

Parce que quand les journalistes sont en danger, c’est toute une société qui finit par trembler pour sa liberté.

Quand ils sont intimidés, menacés de perdre leur gagne-pain, les journalistes risquent de s’autocensurer. Et c’est un pan de vérité qui échappe au public.

Quand les journalistes sont jetés en prison, c’est une aspiration à la démocratie qu’on étouffe.

Et quand les journalistes disparaissent, quand ils sont assassinés, c’est toute une nation qu’on intimide avec un message, brutal: critiquer, c’est très, très risqué.

Pourquoi protéger la liberté de la presse ? Pour protéger la démocratie.

Une presse libre, diversifiée et qui respecte les règles déontologiques du métier livre des informations fiables, elle permet ainsi à la population d’exercer son libre-arbitre en connaissance de cause.

Car, comment voter pour un ou une candidate si la presse n’en parle pas ? Comment juger l’action d’un président, d’une présidente ou d’un gouvernement si les informations critiques à son sujet ne sont pas accessibles?

Comment se forger une opinion sans connaître l’ensemble des arguments ?

Comment être bien informé si les nouvelles ne sont pas vérifiées, si les informations officielles ne sont pas remises en question ?

Si des faits et des chiffres avérés sont tus, cachés ou alors tournés en ridicule?

Et pour prendre le thème qui occupe la planète toute entière cette année : comment se protéger d’un virus sans information fiable, sans savoir où se trouvent les foyers de l’épidémie par exemple?

A ce propos, prenons garde à ne pas réduire au silence les journalistes qui relaient des informations sur la crise du Coronavirus. Le meilleur remède contre la désinformation sont les informations vérifiées qui proviennent de sources fiables.

Pourquoi protéger la liberté de la presse ? Pour mieux gouverner.

Une presse critique, des journalistes en liberté, ce n’est pas toujours flatteur pour les hommes et les femmes de pouvoir, c’est certain. Pourtant il faut vivre avec la critique, il faut en tenir compte aussi, car elle reflète une partie de l’opinion publique.

Ne cassons pas ce miroir. Il nous apprendra sans doute quelque chose d’utile pour notre population, quelque chose qui nous conduira à corriger ou améliorer notre action.

Une presse libre et critique nous remet en question. Les élections et les résultats sortis des urnes aussi nous remettent en question. D’ailleurs, les périodes électorales sont parfois risquées. Il arrive que des journalistes soient battus et arrêtés parce qu’ils couvrent des manifestations de protestation ou de soutien à l’opposition.

Or c’est la raison d’être de la démocratie que de permettre aux gens de s’exprimer, de débattre afin de se donner de nouvelles règles ou de nouveaux dirigeants, de corriger, si jugé nécessaire, les rapports de force. La démocratie est exigeante, mais nous ne connaissons rien de mieux pour organiser une société tout en respectant les droits fondamentaux de chacun.

La démocratie, c’est comme la vie, not a place to relax !

COMMENT protéger la liberté de la presse

Comment protéger la liberté de la presse ?

Le devoir des Etats et des politiciens qui, comme moi, siègent dans un gouvernement et sont responsables de la politique des médias ou de la justice, c’est de créer les conditions qui permettent aux journalistes de faire leur travail. De le faire sans peur.

Pour créer ce cadre propice à la liberté de la presse, il faut une justice indépendante.

Pour combattre ce scandale qu’est l’impunité concernant les actes de violence contre les journalistes, le droit pénal doit être dissuasif, c’est certain. Mais encore faut-il que le droit soit appliqué, que la justice soit rendue et qu’elle le soit rapidement.

Les journalistes menacés doivent pouvoir bénéficier d’une protection, ils doivent aussi pouvoir protéger leurs sources. Dans mon pays, le code de procédure pénale prévoit le droit de refuser de témoigner pour les journalistes (sauf exceptions, notamment en cas d’homicides).

L’indépendance de la Justice est cruciale bien sûr, mais l’indépendance des médias l’est aussi pour que la population soit informée de manière aussi objective que possible.

Mais comment un Etat peut-il assurer l’indépendance des médias?

Le financement, par exemple, doit être transparent, les citoyens et les journalistes doivent savoir qui sont les propriétaires d’un média.

Et, quand l’Etat soutient financièrement les médias, il doit veiller à ne pas entraver leur indépendance et donc leur liberté.

C’est pourquoi, en Suisse, l’Etat s’interdit de se mêler des contenus rédactionnels. Notre aide aux médias est indirecte. Elle passe par le soutien financier à la distribution – par la poste pour la presse papier.

Pour la radio et la télévision, l’Etat se limite à certaines exigences : des programmes dans quatre langues pour les médias publics par exemple.
A l’heure où la population a un besoin capital d’information, il est primordial d’apporter un soutien financier à la presse.

Car aujourd’hui, la diversité de l’information est tout particulièrement en danger. La crise du Coronavirus a frappé une presse qui était déjà, économiquement, très affaiblie.

Les recettes provenant de la publicité se sont effondrées. De nombreux journalistes ont perdu leur emploi, beaucoup ont été précarisés davantage. Ils se retrouvent donc, plus que jamais, vulnérables aux pressions politiques et économiques.

Je tiens également à relever le rôle clé des Nations Unies et d’autres organisations internationales pour la protection de la liberté d’expression et la liberté de la presse dans le monde entier.

Je salue l’engagement fort de la Haute-Commissaire Michelle Bachelet et son bureau et vous rassure que la Suisse va continuer d’être un partenaire important dans la promotion des droits de l’homme.

Mais il est temps de céder la parole aux journalistes, dessinateur, reporters.

Michelle Bachelet et moi-même avons souhaité qu’ils parlent eux-mêmes de leur situation. Leurs témoignages et leurs analyses nous permettront, je l’espère, de mieux défendre ce pilier de la démocratie et des droits de l’homme qu’est la liberté de la presse.


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