Approvisionnement en énergie: «Je veillerai à ce que les prix restent supportables»
La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga estime que la guerre en Ukraine doit nous inciter à doper les énergies renouvelables. Seize milliards sont à disposition.
24heures / Tribune de Genève (12.03.2022)
Interview: Philipp Felber-Eisele et Lise Bailat
Vous étiez en visite en Ukraine en 2020. Aviez-vous imaginé à l’époque qu’on en serait là aujourd’hui?
Je me souviens très bien des jours que j’ai passés en Ukraine alors que j’étais présidente de la Confédération. Le président Volodymyr Zelensky m’avait emmenée dans le Donbass. Nous voulions rappeler par ce déplacement qu’il y avait une guerre en Europe depuis 2014. J’ai rencontré des Ukrainiens engagés, pleins d’espoir. Voir maintenant que leur avenir est si incertain me bouleverse profondément. Pour moi, il était très important que la Suisse prenne des sanctions. Je suis aussi touchée par la solidarité de notre population.
Zelensky est la cible numéro un du président Poutine. Avez-vous peur pour lui?
Oui, bien sûr. Lors de telles rencontres, il y a aussi un côté personnel. Nous avons parlé de nos familles. Il n’était pas en fonction depuis longtemps et a eu une carrière surprenante, mais en tant que juif, russophone et issu de l’est du pays, c’est quelqu’un qui comprend son pays. J’ai vu un président proche des gens, qui cherche la cohésion.
Des sanctions frappent lourdement la Russie, sauf pour l’importation des énergies fossiles. N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie?
Cette guerre montre surtout la dépendance de l’Europe envers le gaz russe. C’est aussi notre vulnérabilité. Cela pèse sur l’approvisionnement énergétique, qui est central pour la sécurité du pays. Mais cela m’a toujours dérangée de penser que l’on dépense 8 milliards de francs par an pour importer des énergies fossiles. Maintenant, la priorité numéro un est de réduire cette dépendance et de renforcer la production indigène.
Si l’UE décide d’un boycott du gaz russe, la Suisse y participera?
La question ne se pose pas. Comme le gaz arrive depuis les pays voisins, notamment l’Allemagne, nous serions directement concernés. L’urgence pour l’UE, c’est d’assurer son approvisionnement par d’autres sources, notamment le gaz liquéfié. De mon côté, j’ai rencontré à plusieurs reprises les représentants de la branche ces dernières semaines pour leur permettre notamment de s’unir en vue de mieux effectuer leurs achats.
La population ne doit pas avoir peur d’avoir froid l’hiver prochain ou d’être rationnée?
Pour le gaz, le Conseil fédéral fait tout pour trouver une solution à court terme afin d’assurer l’approvisionnement. Pour l’électricité, nous avons décidé de faire des réserves dans le domaine hydraulique. En cas d’urgence, nous pouvons ainsi récupérer rapidement du courant. J’ai aussi créé, avant Noël, une task force, à la suite des problèmes de liquidités d’Alpiq. Les prix de l’énergie sont encore très volatils. C’est pourquoi j’ai contacté les cantons: ils doivent encadrer étroitement ces questions de liquidités. Les cantons et les communes possèdent environ 90% des fournisseurs d’énergie.
Les ménages voient leurs factures augmenter pour se chauffer, pour rouler. La France promet des chèques en guise d’aide. L’UDC propose de suspendre les taxes sur les énergies. Et vous?
Je veillerai à ce que les prix restent supportables pour la population, les entreprises et pour les locataires. En tant qu’ancienne représentante des consommateurs, et socialiste, je sais qu’une hausse des prix peut conduire à des situations très compliquées pour les budgets les plus modestes. Il faut trouver des solutions pour limiter cet impact.
Vous pensez à quel type de mesures?
Le Conseil fédéral a montré durant la pandémie qu’il peut réagir vite et fort. Mais le plus important, c’est que nous permettions aux gens de sortir rapidement du pétrole et du gaz. 11,7 milliards de francs sont à disposition pour encourager le passage aux énergies renouvelables jusqu’en 2030. Il faut y ajouter 4 milliards de francs pour le remplacement des chauffages à gaz et à mazout, et l’isolation des bâtiments. Au cours des trois dernières années dans mon département, j’ai posé les bases pour réduire notre dépendance au pétrole et au gaz. Grâce à cela, nous payerons déjà moins cher pour nous chauffer.
2030, c’est loin. Et aujourd’hui, ce que voient Monsieur et Madame Tout-le-monde, c’est l’essence à 2 fr. 40.
Encore une fois, les prix sont très volatils. Il faut suivre la situation de près et intervenir en fonction des besoins. Et dans le domaine énergétique, je le rappelle, nous avons 16 milliards pour réduire notre dépendance. Maintenant, nous devons mettre les bouchées doubles.
Si vous voulez accélérer la cadence, ce sont les administrations qu’il faut bousculer, non?
Tout ne peut pas se faire du jour au lendemain. Nous avons fait beaucoup pour accélérer les procédures. La construction de centrales hydroélectriques et d’éoliennes sera bientôt facilitée. Pour la pose de panneaux sur les toits plats, il ne sera plus nécessaire d’avoir une autorisation dès cet été. Nous devons vraiment accélérer les choses.
Au niveau de la conscience climatique des Suisses, cette guerre va-t-elle agir comme Fukushima, selon vous?
La situation est bien trop insupportable pour les populations concernées pour que je fasse un parallèle. Mais c’est un fait que les événements récents, d’une manière très dramatique, nous ont mis devant les yeux ce que signifie notre dépendance énergétique. Le besoin et l’envie de réduire cette dépendance ont massivement augmenté. Les fournisseurs d’énergie me racontent que de nombreuses personnes les contactent, parce qu’elles ne veulent pas contribuer à financer la guerre de la Russie avec leur argent.
Ne craignez-vous pas que l’on vous reproche d’utiliser la guerre pour faire de la politique climatique?
Non. Je n’ai pas attendu les événements actuels pour agir et mettre sur les rails les 16 milliards de francs qui aideront à accélérer massivement le passage aux énergies renouvelables indigènes.
La Suisse veut réduire sa dépendance au gaz et en même temps construire deux à trois centrales à gaz de secours pour 2025. Vous allez devoir changer vos plans.
La Commission fédérale de l’électricité (Elcom) propose de construire des centrales à gaz pour absorber les pics de consommation dans les cas d’urgence absolue. Le but est de ne pas devoir les utiliser. Il s’agit d’une deuxième assurance après les réserves hydrauliques qui seront constituées dès l’hiver prochain. Mais plus on développera les énergies renouvelables rapidement, moins la probabilité de devoir utiliser ces centrales sera grande. Et en principe, elles peuvent aussi fonctionner avec des carburants renouvelables et pas seulement avec le gaz naturel. On va en décider plus tard.
Donc la guerre en Ukraine ne change rien?
Si cette crise doit nous enseigner quelque chose, c’est bien que nous devons faire la transition énergétique beaucoup plus vite.
Vous ne répondez pas à ma question. Vous tenez à vos centrales à gaz de secours?
Nous n’allons pas arrêter ce projet maintenant, alors que l’Elcom est en train d’examiner des sites potentiels. Il est important d’avoir cette deuxième assurance en cas de pénurie. Mais aujourd’hui, la priorité absolue, c’est le développement des énergies renouvelables. Et avec la guerre en Ukraine, la volatilité des prix, le risque pour l’approvisionnement, je sens que la population veut aller de l’avant rapidement. Elle doit savoir que nous sommes aussi prêts.