«Albert Rösti à l’écoute du ras-le-bol des Romands»

En visite à la rédaction du «Temps» à Genève, le conseiller fédéral s’est dit conscient des retards pris par les transports régionaux. Energie nucléaire, redevance radio-télévision ou encore positionnement de la Suisse au cœur des secousses mondiales, l’UDC bernois s’est livré sans fard.

Le Temps, 01.04.2025

Interview: Madeleine von Holzen et Yan Pauchard


En Suisse romande, les temps de trajets se sont allongés avec le nouvel horaire 2025 des CFF. Les chantiers se multiplient, comme les retards et les coupures de lignes. Le ras-le-bol monte chez les pendulaires. Vous le ressentez?

Je comprends tout à fait ce ras-lebol. Ma première visite juste après mon élection avait d’ailleurs été à Lausanne [les travaux de rénovation de la gare ont pris quinze ans de retard, ndlr] pour rencontrer les autorités de la ville et du canton de Vaud, car je sentais le mécontentement contre les CFF, contre mon département aussi. Plus généralement, je suis conscient qu’il y avait moins de projets en Suisse romande par rapport aux autres régions. C’est pour cela que nous avons fait rajouter le projet du tunnel Morges-Perroy, qui n’était pas prévu dans le programme d’investissements. Nous ne cessons d’agir, des projets continuent d’avancer, même s’il faut être honnête et reconnaître qu’il faudra encore du temps pour résoudre tous les problèmes.

Pour autant, avec le projet Transports ’45, vous avez confié à un expert de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich le mandat d’analyser et prioriser tous les projets d’infrastructures. La Suisse romande va-t-elle à nouveau être négligée?

Ce sera le contraire. Je m’engage à rééquilibrer les investissements pour la Suisse romande. Le mandat donné à l’expert de l’EPFZ, Ulrich Weidmann, un spécialiste des infrastructures, est technique. Mais au final, c’est la politique qui décidera. La Romandie ne sera pas négligée. Je suis très clair là-dessus.

Comment assurer ce rééquilibrage? Des projets romands ne risquent-ils pas d’être bloqués? Il y a des inquiétudes pour la ligne Neuchâtel-La Chaux-de-Fonds…

Nous pouvons travailler sur des régions de planification. J’aimerais aussi rappeler que nous n’arrêtons aucun projet. Ce n’est pas le but de cette étude, qui est plutôt de gagner en marge de manœuvre. Tous les quatre ans, nous avons planifié de nouveaux investissements qui se sont accumulés. Ceux-ci ont atteint un surcoût de 14 milliards de francs. C’est énorme, alors même que s’ajoutent six nouveaux projets, dont la ligne Lausanne-Berne, celle entre Winterthour et Saint-Gall, ainsi que les gares de Bâle et Lucerne. Ce n’est plus possible de tout mener à bien avec des chantiers reportés à 2050. L’expertise doit nous permettre de définir quelles améliorations sont nécessaires dans les vingt prochaines années, à l’horizon d’une génération.

Quels seront les critères pour prioriser?

Il y aura bien sûr des questions liées à la population avec des projets autour des grandes villes que sont Genève, Bâle et Zurich. Mais tout doit être équilibré. Pour que les investissements soient acceptés au parlement, mais aussi en votation par la population, il est nécessaire que les régions plus rurales soient prises en compte. C’est peut-être ce qui nous a manqué lors de la votation sur les autoroutes en novembre dernier. Nous n’avions par exemple aucun projet aux Grisons et au Tessin, qui ont voté contre. Si ces deux cantons avaient voté clairement oui, nous aurions gagné.

Cette votation sur les autoroutes demeure votre plus grand échec. Avec le recul, qu’est ce qui vous a manqué pour convaincre la majorité de la population?

Nous n’avons pas su démontrer que les transports forment un système intégrant l’ensemble des modes: rail, routes et agglomérations. De l’autre côté, nos adversaires ont su mener une campagne efficace, avec un message simple, celui de ne plus investir dans les autoroutes pour des raisons de bétonnage et de décarbonation. Il s’agissait finalement de six projets autoroutiers, soit bien moins que les réalisations en faveur du rail et des agglomérations, déjà acceptées et sous toit, car n’ayant pas été attaquées en référendum.

Aujourd’hui, les bouchons continuent d’augmenter. Quelles solutions pouvez-vous amener?

Avec le projet Transports ’45 nous pourrons également voir les liens entre le rail et les routes, ce qui nous permettra de déterminer là où il y a une nécessité de proposer de nouveaux aménagements autoroutiers. Mais il faut le dire, il n’y aura pas d’élargissement entre Nyon et Genève, le vote de la région a été assez clair. Même si on peut regretter que la population des villes, politiquement très à gauche, celle qui a un tram ou un bus à côté de la maison, ait dit non. Ce n’est pas elle qui subit les bouchons.

Du côté des projets énergétiques, vous cumulez les oppositions. Est-on aux limites de l’exercice démocratique?

On n’est jamais aux limites de la démocratie directe, c’est toujours le meilleur système. Le meilleur argument en faveur de ces projets est l’approvisionnement en électricité, un des facteurs les plus importants pour le bien-être ainsi que le plus grand risque en Suisse. Il faut des éoliennes, 200, pas des milliers, 16 projets hydrauliques, pas 30, et quelques parcs solaires. Il faut toutes les technologies, tous les kilowatts en plus nous aident. Et nous devons augmenter les réserves à court terme, prolonger les capacités des centrales nucléaires, envisager de nouvelles centrales nucléaires à long terme et être ouverts aux nouvelles technologies. A long terme, il faudra beaucoup plus de courant.

Vous avez rouvert la porte au nucléaire, n’est-ce pas un déni démocratique remettant en cause une votation populaire?

Pas du tout. Lors de la votation en 2017, on pensait que le courant électrique ne manquerait jamais en Europe, ce qui n’est plus le cas. Les conditions ont changé sur plusieurs points. C’est le devoir du Conseil fédéral de reprendre en main cette discussion. Je m’engage aussi avec force pour le développement des énergies renouvelables, mais nous aurons toujours des problèmes d’approvisionnement durant l’hiver. La question est finalement de savoir si nous voulons être dépendants du nucléaire français ou produire notre énergie nous-mêmes.

Comment allez-vous faire avancer les choses pour les renouvelables?

Nous avons un projet de loi en discussion au parlement en vue de faire accélérer les procédures.

Cette loi va restreindre le droit de recours des associations environnementales…

C’est le Conseil des Etats qui a proposé dans la première lecture de retirer le droit de recours à ces associations. Personnellement, je n’y suis pas favorable. J’espère qu’on arrivera à une loi sans toucher à ce droit. Mais j’ai également rencontré ces organisations et je les ai priées de retirer leurs recours contre certains projets hydrauliques, pour pouvoir avancer. Le chemin est étroit mais j’ai bon espoir que nous puissions aller rapidement, au moins avec la surélévation des barrages.

Au vu de toutes ces difficultés et blocages, n’aurait-il pas été plus simple pour vous de reprendre le Département de la défense?

Il n’y a jamais eu cette discussion. Je suis à la tête du DETEC depuis deux ans seulement, un département dont les thèmes sont très variés. Aujourd’hui, au moment où je commence à lancer mes propres projets, ce n’aurait pas été une bonne idée de changer. Et je ne suis pas certain que cela aurait été plus simple.

En tant que magistrat expérimenté n’auriez-vous pas dû prendre vos responsabilités dans le contexte géopolitique plutôt que de laisser la Défense au petit nouveau?

Je peux comprendre cette réflexion. Si je suis expérimenté au Conseil fédéral, je le suis nettement moins dans le domaine militaire. Mon nouveau collègue est colonel, alors que je n’ai pas fait l’école d’officiers. Martin Pfister devrait ainsi être respecté et accepté au sein de l’armée. Je ne dis pas qu’il faut nécessairement être colonel pour prendre la Défense, mais dans la situation actuelle, c’est certainement un avantage.

Justement, dans les turbulences mondiales internationales, notamment depuis l’élection de Donald Trump, quelle doit être la position de la Suisse?

Je suis persuadé – c’est une remarque personnelle – que dans ces bouleversements extrêmes au niveau mondial, la Suisse doit continuer de se baser sur les valeurs qui ont assuré sa stabilité et son bien-être, celles de la démocratie directe et de la neutralité. Nous ne devons pas être dans la posture et faire des commentaires sur des annonces de Donald Trump, qui changeront peut-être dès le lendemain.

C’est donc une position de retrait?

Parler de retrait suppose une posture trop défensive. Je pense plutôt qu’il faut être attentif aux opportunités. Ne pas s’exprimer publiquement ne veut pas dire qu’en coulisses la Suisse ne travaille pas à un cessez-le-feu en Ukraine ou à entrer en contact avec l’administration américaine, ce qui est primordial tant les Etats-Unis sont une destination essentielle pour nos exportations. Dans ce domaine, si nous nous basons sur le premier mandat de Donald Trump, nos relations ont d’ailleurs été plutôt bonnes. Nous devons privilégier ces rencontres, plutôt que les commentaires politiques.

Du Parti républicain de Donald Trump à la montée de formations politiques extrêmes chez nos voisins, ce sont des évolutions auxquelles votre parti, l'UDC, est souvent comparé…

Je ne veux pas trop parler pour l’UDC, car je suis ici en tant que conseiller fédéral. Mais j’observe que mon parti est centenaire, il ne doit pas sa création aux mouvements de mécontentements apparus ces dernières années. Nous avons une tout autre histoire. L’UDC est intégrée au Conseil fédéral, dans beaucoup de gouvernements cantonaux, mais aussi au sein des communes. Nous avons cet esprit gouvernemental et sommes pleinement impliqués dans les institutions.

En tant que ministre des médias, vous êtes enfin très attendu sur l’initiative pour une redevance à 200 francs pour la SSR. Le Conseil fédéral s’y oppose. Mais ne faitesvous pas le jeu des initiants en proposant déjà une baisse à 300 francs, au lieu des 335 francs aujourd’hui?

Les médias ont un rôle très important dans notre situation géopolitique actuelle, ils sont essentiels pour le fonctionnement de notre démocratie. Je vais voter non avec persuasion à cette initiative. Mais j’ai toujours pensé que nous ne pouvions pas gagner contre un tel objet sans rien faire. Dans une votation, si les gens sont en mesure de calculer ce qu’ils vont gagner, ils ont tendance à voter en faveur de leur porte-monnaie. On l’a encore vu lors du scrutin sur la hausse du tarif de la vignette. Avec cette proposition à 300 francs, la SSR aura l’occasion de montrer qu’elle sait faire un effort avec une baisse de 15 à 17% de son budget – c’est déjà beaucoup pour une entreprise –, tout en permettant à la population de payer moins. Avec la réduction du budget de la SSR, la marge de manœuvre pour les médias privés augmente. J’aurai ainsi des arguments dans la campagne.

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