À deux semaines d’un scrutin tendu sur l’élargissement des autoroutes, le conseiller fédéral Albert Rösti répond sans détour aux critiques et aux arguments des opposants.
24heures, 11.11.2024
Interview: Florent Quiquerez
À deux semaines d’un scrutin tendu sur l’élargissement des autoroutes, le conseiller fédéral Albert Rösti répond sans détour aux critiques et aux arguments des opposants.
24heures, 11.11.2024
Interview: Florent Quiquerez
Vous vous engagez beaucoup pour ce projet. Pensiez-vous que ce serait aussi difficile de convaincre?
Je m’attendais à une campagne plus compliquée que pour l’initiative biodiversité ou la loi sur l’énergie. Par contre, je ne pensais pas qu’on ferait de l’élargissement de six tronçons d’autoroute un combat idéologique entre rail et route. J’ai toujours défendu toutes les formes de mobilité, que ce soit le train, le bus, le vélo ou la voiture, et je trouve regrettable la tournure que prend le débat.
Il y a eu des cafouillages sur les projections de trafic de la part de l’Office fédéral des routes (Ofrou). Étiez-vous suffisamment préparé pour cette votation?
Si j’avais sous-estimé ce scrutin, je ne serais pas en train de parcourir la Suisse pour expliquer les enjeux. Aurais-je pu agir différemment? C’est possible. Mais il faut bien comprendre que les six projets dont on parle sont en discussion depuis des années. Ils ont été lancés par Doris Leuthard et repris par Simonetta Sommaruga, mes prédécesseures au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). Ces projets ont fait l’objet d’une multitude d’études. Et que des projections portant sur 2040 soient corrigées car la croissance est moins forte qu’attendu, c’est normal. Mais ça ne change rien à la situation actuelle: les bouchons sont bien là, et nous voulons les résorber.
Une première étude de l’Ofrou disait que l’A1 serait saturée dix ans après son élargissement. Trois semaines avant la votation, on apprend que les chiffres ont été revus et que ce n’est plus le cas. Ça ne fait pas sérieux.
Si j’avais su qu’une nouvelle étude était en préparation et que les hypothèses de 2015 seraient revues, nous en aurions parlé bien avant. Mais sur le fond, aucun chiffre n’est faux. Ces projections correspondent simplement aux scénarios d’une période donnée. Mais encore une fois: ça ne change rien au fait que nous avons un problème de fluidité à régler.
Il y a aussi une polémique liée au rapport qui montre que les coûts externes des transports explosent. On vous accuse d’avoir voulu le retenir. Est-ce vrai?
C’est faux, et je peux le prouver. Cette étude avait été demandée par Simonetta Sommaruga. Quand je l’ai reçue, on m’a conseillé de ne pas la publier avant la votation. Mais j’ai refusé et donné l’ordre de le faire. J’étais d’autant plus à l’aise que ses conclusions sont indépendantes des six projets soumis en votation et que l’augmentation des coûts externes ne touche pas que la route, mais aussi le rail par exemple, en raison d’une nouvelle méthode de calcul.
Vous êtes aussi ministre de l’Environnement. Élargir les autoroutes, est-ce compatible avec le défi climatique?
Oui, car les technologies évoluent. D’ici à la réalisation des projets, il y aura bien plus de voitures électriques ou à hydrogène. En parallèle, nous misons sur le rail. Le Conseil fédéral et le parlement soutiennent son développement, avec trois programmes qui représentent un montant de 28 milliards. Aujourd’hui, le train ne concerne que 16 % de la mobilité, et notre objectif est de faire monter cette part à 19 %. Mais on ne peut pas ignorer le fait que 75 % des déplacements se font actuellement sur la route.
Quelque 350 experts appellent à voter non. Ça vous fait douter?
Pas du tout. J’attends d’ailleurs des experts qu’ils soient neutres politiquement, sinon, c’est difficile de croire à des études indépendantes. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ils ne se sont pas exprimés avant, quand ces élargissements étaient discutés au parlement. Aujourd’hui, nous avons des problèmes de bouchons, ce qui entraîne un trafic d’évitement dans les localités, avec toutes les conséquences négatives qui s’ensuivent: sécurité, bruit, émissions de CO2. Et la seule solution que ces experts préconisent est d’obliger les gens à changer leur comportement. Mon but est au contraire d’offrir un trafic qui fonctionne pour ceux qui doivent aller au travail ou transporter des marchandises. Quel que soit le mode de transport choisi.
Vous ne croyez pas à un trafic induit qui va engorger les villes?
Qu’il y aura plus de trafic sur les autoroutes une fois qu’on les aura élargies, c’est évident. C’est d’ailleurs pour ça que l’on veut faire des travaux: afin de ramener le trafic d’évitement des localités sur l’autoroute. Qu’une nouvelle route amène du trafic, je peux aussi souscrire à cette logique. Mais ce n’est pas ce que nous faisons. Nous ne sommes pas en train de construire une nouvelle autoroute, mais d’augmenter de manière ciblée la capacité de celles qui existent déjà au niveau de goulets d’étranglement. En parallèle, nous développons les transports publics.
Combien coûteront ces six projets? Cinq milliards, comme le dit la brochure de votation, ou plus de 7, comme l’a calculé un journal alémanique?
À chaque fois que le Conseil fédéral estime le coût d’un projet, il le fait sur la base des chiffres qui prévalent au moment où celui-ci est prêt à passer devant le parlement. Ensuite, il y a le renchérissement qui entre en ligne de compte, puis la TVA. C’est comme ça pour n’importe quel projet.
Est-ce que l’argent du fonds routier (FORTA) suffira, ou faudra-t-il augmenter le prix de l’essence?
La loi est claire. Si les liquidités du fonds routier sont inférieures à 500 millions, il faut augmenter de 4 centimes la taxe sur l’essence. Les montants sont suffisants pour financer ces six projets. Il faudra voir par la suite si les taxes liées aux voitures électriques permettront de compenser celles qui valent pour l’essence. Ce qui est sûr, c’est qu’une hausse de l’essence ne sera pas nécessaire en raison des six projets en votation, car ils seront construits seulement après 2030.
Vous dites qu’il est faux d’opposer rail et route. Mais est-ce que les difficultés financières de la Confédération ne relancent pas de fait cette rivalité?
Je ne pense pas. Les sources de financement ne sont pas les mêmes. Pour la route, c’est le principe du pollueur-payeur qui s’applique. Ce sont les automobilistes qui – par les taxes – financent entièrement la route. Ces derniers versent en plus un milliard par an dans les caisses de la Confédération et un demi-milliard dans celles des cantons. Pour le train, c’est différent. Seulement 50 % des coûts sont couverts par les billets et abonnements des voyageurs. On ne peut donc pas dire que les deux financements sont en opposition.
Les opposants disent que c’est vous qui rallumez la guerre rail-route en refusant de libérer un crédit pour les trains de nuit. Que répondez-vous?
Qu’il ne faut pas tout mélanger. Quand je suis entré au Conseil fédéral, j’ai réussi à convaincre mes collègues de dégager 2,6 milliards de plus pour le rail. Et je me bats pour qu’on puisse à terme obtenir une cadence au quart d’heure sur les grandes lignes. Je sais qu’en politique, les attaques sont faciles, mais on ne peut pas comparer cet engagement à la suspension d’un crédit de 30 millions pour des trains de nuit qui n’existent pas encore. Les lignes de nuit existantes ne sont pas concernées.
Mais c’est aussi vous qui ne voulez plus financer les lignes de transport régionales non rentables…
Cela fait partie des mesures que le Conseil fédéral a retenues pour ramener le budget de la Confédération à l’équilibre. Le rapport Gaillard prévoyait différentes coupes dans mon dicastère. J’ai tout fait pour sauver les projets les plus importants. Je me suis notamment opposé à une coupe de 150 millions par an pour qu’on puisse continuer à soutenir le trafic des marchandises par le rail. Mais je ne pouvais pas non plus dire non à tout, car je tiens aussi au respect du frein à l’endettement. Mais encore une fois, regardez ce qui sera investi pour le rail dans l’arc lémanique: 1,3 milliard de francs sont prévus pour le tunnel Morges-Perroy, 2 milliards pour la gare de Genève et 1,7 milliard pour celle de Lausanne. Si on compare cette somme aux 900 millions que coûtera l’élargissement de l’A1, on ne peut pas dire que c’est moi qui relance la guerre rail-route.
Si c’est non le 24 novembre, que se passe-t-il?
Il faudra vivre avec des bouchons et les nuisances du trafic d’évitement dans les localités. En politique, il y a toujours des alternatives. Mais pour le moment, je n’ai pas de plan B.