Projet pour un approvisionnement en électricité sûr, Loup, SSR, Poste: Interview du conseiller fédéral Albert Rösti
24 heures / Tribune de Genève, 23.03.2024
Interview: Florent Quiquerez
Projet pour un approvisionnement en électricité sûr, Loup, SSR, Poste: Interview du conseiller fédéral Albert Rösti
24 heures / Tribune de Genève, 23.03.2024
Interview: Florent Quiquerez
Vous êtes arrivé au Conseil fédéral comme le «général électricité». Votre crédibilité est-elle en jeu avec cette votation?
Non. Cela ne correspond pas au système politique suisse. Cela signifierait qu’en cas d’échec, je n’aurais plus rien à faire au Conseil fédéral. Or, en politique, il existe toujours une alternative. Cela ne m’empêche pas de m’engager à fond pour ce projet. Si on veut éviter tout risque de pénurie, il faut produire plus de courant.
Qu’est-ce qui sera le plus dur? Convaincre le peuple le 9 juin ou votre parti samedi?
Il faudra attendre dimanche pour le savoir (sourire). À l’UDC, il y a une frange qui reste mécontente de la stratégie énergétique et de la fin du nucléaire. Le parti sera divisé, mais j’ai le sentiment qu’une majorité du peuple est convaincue qu’il faut produire davantage de courant. Je le dis avec tout le respect qu’il faut avoir avant un scrutin.
Magdalena Martullo-Blocher et le futur président de l’UDC Marcel Dettling vous ont-ils mis un coup de poignard dans le dos en disant qu’il fallait dire non?
Je ne pense pas que ce soit dirigé contre moi. L’UDC a toujours été opposée aux plans de Doris Leuthard, puis de Simonetta Sommaruga. Si le parti veut rester crédible, il doit s’opposer à cette offensive pour les renouvelables. Mais sur le fond, ils savent qu’en tant que ministre de l’Énergie, j’agis pour le mieux.
Vous allez faire campagne avec Les Verts, le WWF ou Pro Natura. Qui a changé? Eux ou vous?
Je dirais eux. Ils ont compris que si on veut décarboner le pays, il faut produire davantage d’électricité. Et comme le nucléaire et les énergies fossiles ne sont actuellement pas une option, on ne peut pas en plus freiner les renouvelables au nom de la biodiversité. Le potentiel du solaire est énorme sur les toits ou les façades, mais on ne peut pas faire l’impasse sur les éoliennes, le rehaussement des barrages ou les parcs solaires alpins. Leur apport est indispensable en hiver.
Avez-vous aussi mis de l’eau dans votre vin?
On a trouvé des compromis en acceptant des mesures d’accompagnement écologiques ou en renonçant – par exemple – à réduire les débits résiduels des rivières. Ce qui a vraiment été un tournant, c’est quand les exploitants électriques et les ONG se sont assis autour d’une table pour se mettre d’accord sur quinze projets de barrage.
Quelle opposition craignez-vous désormais: la droite ou les ONG qui ont lancé le référendum?
Les ONG. Prenez le barrage du Trift, dans l’Oberland bernois, il est bloqué par un recours d’Aqua Viva, une organisation qui ne faisait pas partie des signataires de la table ronde. Il y a aussi Paysage libre, qui fait systématiquement recours contre les projets éoliens. Je crains qu’ils n’entretiennent la peur avec des photomontages où l’on verrait les plus beaux paysages de Suisse balafrés. Face à de telles images, c’est compliqué d’expliquer que seules les régions les mieux adaptées et retenues dans le plan directeur des cantons accueilleront des éoliennes.
Vous craignez une campagne émotionnelle?
Je suis très attaché à nos paysages et ne veux en aucun cas les détruire. En disant oui à cette loi, la nature sera mieux protégée qu’avec un non. Un refus de cette loi n’empêchera personne de demander un permis de construire. L’avantage de ce projet, c’est qu’il précise les lieux les plus favorables pour la production d’électricité renouvelable, en prenant soin d’éviter les biotopes remarquables ou les surfaces agricoles utiles.
Est-ce démocratique que de dire que la production d’énergie doit désormais l’emporter sur la protection de la nature?
Cette priorité concerne uniquement des projets précis essentiels pour la production en hiver. La loi est issue d’un compromis du parlement. Le référendum ayant abouti, le peuple aura le dernier mot. Et même si le texte est adopté, les communes pourront organiser des votations et les particuliers et les associations pourront continuer de faire recours sur tous les projets. Je ne vois pas en quoi il y a un déficit démocratique.
La crise énergétique semble loin. Le contexte général joue-t-il contre vous?
Les gens n’ont plus peur, c’est vrai, mais je ne pense pas que cela fragilise le projet. Si le risque de pénurie s’est éloigné, c’est précisément parce que l’on a pris des mesures. On a construit des centrales de réserve, fait des réserves hydrauliques et négocié des accords avec nos voisins. Mais on ne sait pas ce qui peut arriver ces prochaines années. Et comme les besoins vont en augmentant avec l’essor de la voiture électrique et des pompes à chaleur, la Suisse a tout intérêt à être indépendante énergétiquement.
La volonté d’accélérer les renouvelables se heurte à la réalité. Plusieurs projets de parcs alpins se sont cassé la figure. Votre projet, c’est du rêve?
Je m’attendais à cette question. Aujourd’hui, on a une vingtaine de projets de parcs solaires, qui ont été validés par les communes concernées. On a beaucoup parlé des échecs, mais pas des réussites. Si je m’engage pour cette votation, c’est que je suis convaincu qu’on peut y arriver. La table ronde sur les barrages l’a prouvé. Demain, ce sera l’éolien et le solaire. Ce n’est pas du rêve, mais la réalité.
Cette semaine, l’initiative populaire qui veut relancer le nucléaire a abouti. Ferez-vous un contre-projet?
Le Conseil fédéral a une année pour rédiger son message. Il est trop tôt pour répondre. Mon objectif actuel, c’est de gagner le 9 juin.
Loup, SSR, autoroute, vous avez lancé beaucoup de projets. Arrivez-vous à les mener de front?
Le rythme de travail est soutenu, davantage que je ne l’avais imaginé. Mais, j’ai la chance de pouvoir compter sur une excellente équipe et j’ai toujours la motivation et l’énergie nécessaire. Si j’ai lancé autant de dossiers, c’est aussi parce qu’ils étaient prêts. Prenez les routes, les budgets se discutent tous les quatre ans. J’ai mis ma patte en intégrant des projets en Romandie, mais je ne pouvais pas attendre.
N’êtes-vous pas allé trop vite? Sur le tir du loup, vous vous faites corriger par les tribunaux.
J’ai été élu au Conseil fédéral pour résoudre des problèmes. Et quand vous prenez une décision, vous prenez un certain risque. Je préfère cela que d’attendre par peur d’un éventuel recours. Finalement, 60 loups ont été tirés. Si vous partez du principe qu’une portée peut avoir jusqu’à quatre petits, vous comprenez assez vite qu’agir vite a été positif.
Vous assumez donc votre décision?
L’été dernier, j’ai reçu énormément de doléances d’agriculteurs. À l’époque, on disait que les loups n'attaqueraient jamais un bovin. Les faits ont montré que c’était faux. Aujourd’hui, on dit qu'il n'attaquera pas l’homme. Mais quand vous avez des parents qui vous écrivent qu’ils ont peur parce que leur enfant doit traverser la forêt pour aller à l’école, alors vous agissez. D’ailleurs, c’est le parlement lui-même qui a fixé dans la loi la régulation préventive. En ramenant le nombre de meutes à douze sur le territoire – soit la situation de 2020 –, on est loin d’un abattage extrême, comme ça a été dit.
Votre idée de redevance à 300 francs a provoqué un tollé et l’opposition frontale de la SSR. Surpris?
Je ne m’attendais pas à la réaction de la SSR. J’en avais parlé au préalable avec la direction. Et dès le début, j’ai expliqué que j’allais combattre l’initiative «200 francs, ça suffit», mais qu’il ne fallait pas sous-estimer la pression populaire qui veut un changement. Pour moi, la direction n'a pas perçu la chance qu’offre cette alternative, qui représente tout de même 1,1 milliard par an. J’entends désormais des gens dire que si la SSR ne veut rien faire, alors ils voteront les 200 francs. Et là, ce serait vraiment difficile pour la SSR et ses programmes en quatre langues.
Vous irez jusqu’au bout?
Le Conseil fédéral décidera d’ici à l’été. Aujourd’hui, la pression est énorme sur les éditeurs privés, qui doivent licencier. Dans ce cadre-là, il faut redéfinir ce qui est du domaine du service public et ce qui peut être couvert par les privés. En tant que chef du DETEC, je suis derrière la SSR. Et, pour moi, la redevance à 300 francs est une alternative pour éviter que l’initiative passe.
Autre dossier brûlant: La Poste. Allez-vous supprimer le courrier A et en finir avec le passage quotidien du facteur, comme cela a été rapporté dans les médias?
Les fuites dont vous parlez viennent d’un rapport. Toutefois, ma vision n’y figurait pas. Face à la polémique, j’ai décidé de reporter la discussion pour que le Conseil fédéral puisse discuter sereinement. Je n’ai donc pas l'intention d’en dire davantage. Ce qui est sûr, c’est que le nombre de lettres a diminué de 30% en dix ans. Et on s’attend à une baisse similaire dans les cinq ans. Aujourd’hui, tout le monde veut un office dans son village et le passage du facteur chaque jour. Mais quand vous demandez aux mêmes personnes la dernière fois qu’ils ont écrit une lettre ou qu’ils se sont rendus au guichet, ils ont du mal à s’en souvenir. Or, on ne peut pas continuer à payer des services qui ne sont pas demandés. Je ferai des propositions avant l’été.