Visite à la Grande Dixence: interviews sur le nucléaire


«La décision sur le nucléaire va mettre la pression»: interview du conseiller fédéral Albert Rösti.

24heures, 06.09.2024
Interview: Julien Wicky

En visite à la Grande-Dixence, le conseiller fédéral est en colère face aux oppositions qui bloquent les nouveaux barrages et les parcs solaires.

C’est un mot tabou. Une semaine après avoir fait une fleur à l’énergie atomique, en visite au barrage de la Grande-Dixence, le conseiller fédéral Albert Rösti n’aura entendu qu’une seule fois le mot «nucléaire» et pas forcément dans le sens qu’il aurait aimé.C’est Roberto Schmidt, conseiller d’État valaisan chargé de l’Énergie, qui lui a assuré que le Valais pourrait construire ou rehausser une dizaine de barrages de plus et cela en moins de temps qu’il faudrait pour bâtir une centrale nucléaire.Les rois de l’or bleu ont clairement voulu faire passer un message: l’avenir de la Suisse est hydraulique et pas atomique. Mais pour le conseiller fédéral, la réalité est plus complexe.

Albert Rösti, vous êtes ici au pied du symbole de l’énergie renouvelable suisse juste après avoir rouvert la porte à l’énergie nucléaire. N’est-ce pas contradictoire?

Je ne crois pas. À court et moyen terme, soit les quinze prochaines années, il faudra 2 à 6 TWh,(ndlr: la Grande-Dixence produit annuellement 2,5 TWh),de plus, surtout en hiver. Les énergies renouvelables sont le seul moyen d’atteindre ce but.

Mais à long terme, ce sont 30 à 40 TWh de plus qui seront nécessaires, soit au moins deux tiers de l’électricité produite aujourd’hui. On se doit donc de rester ouvert à toutes les technologies, on ne peut pas en éviter une. Regardez les seize nouveaux projets hydroélectriques qui doivent apporter 2 TWh supplémentaires: les menaces de recours sont déjà là.

Ce sera donc impossible d’alimenter la Suisse sans le nucléaire?

Si on était certain d’avoir assez d’énergies renouvelables, je serais le premier à vouloir me passer du nucléaire. La décision du Conseil fédéral va mettre la pression. Depuis treize ans qu’on parle de sortie de l’atome, nous avons certes accéléré la production d’énergie solaire en été, mais nous n’avons presque rien créé de plus en hiver; or, le temps presse et nous sommes obligés d’avoir une alternative.

Parmi ces seize nouveaux projets de barrage, il y a le Gornerli du côté de Zermatt qui sera relié au complexe de la Grande-Dixence et qui est particulièrement contesté.

C’est un vrai problème et je vous le dis franchement: ça m’énerve énormément. Car le Gornerli représente à lui seul un tiers de l’électricité supplémentaire que ces seize nouveaux ouvrages pourront créer. Si on ne peut pas réaliser celui-là, on aura vraiment des problèmes. C’est aussi vrai pour le barrage du Trift dans le canton de Berne ou le rehaussement du Grimsel dont on parle depuis trente ans.

Autre thème, celui des parcs solaires alpins, dont un est prévu juste à côté d’ici. L’euphorie du «Solarexpress» semble s’essouffler. C’était un coup dans l’eau?

Sans le «Solarexpress», on n’aurait aujourd’hui aucun projet, et si quelques-uns se font, nous aurons de l’électricité en plus, ce qui est de toute façon bienvenu. Il faut cependant admettre que nous avons sous-estimé les difficultés technologiques et les recours. Les deux projets qui ont lancé le «Solarexpress», Gondo et Grengiols, sont eux aussi bloqués.

Sur l’hydraulique, le Valais vous met la pression, on a entendu Roberto Schmidt revendiquer 17 nouveaux barrages alors qu’il en a déjà obtenu huit. Les cantons alpins sont trop gourmands?

Je suis favorable à ce qu’un Canton pousse pour ses projets. Mais, aujourd’hui, on a des conditions-cadres favorables pour seize projets en Suisse, dont huit en Valais: ils ont la priorité nationale. On n’a jamais dit qu’on ne pouvait pas allonger la liste ultérieurement, mais il faut d’abord réaliser ceux que nous avons sur la table.

Il affirme pourtant que cela irait plus vite que de bâtir une nouvelle centrale nucléaire.

Je n’en suis pas certain, quand on voit l’opposition aux projets actuels. Si on veut avoir la preuve que les énergies renouvelables ont une chance de remplacer les énergies fossiles, tel que cela a été voulu par la population, alors il faut que les recours soient retirés.

Vous évoquez les oppositions, mais il y a aussi des problèmes de concession. C’est très compliqué aujourd’hui pour un investisseur de mettre de l’argent dans un barrage sans savoir s’il y trouvera son compte.

C’est quelque chose que la nouvelle loi sur l’énergie va en effet devoir régler, et nous avons prévu des articles pour aller dans ce sens. Et il est certain que c’est un très grand challenge. À ce jour, les cantons nous ont assuré qu’ils trouveront des solutions avec les entreprises énergétiques. Pour ma part, je serai toujours disposé à officier comme médiateur pour que cela aboutisse mais je ne peux pas me mêler de la question de chaque concession.

Qui doit faire un effort?

Chacun doit y mettre du sien et se mettre autour de la table. Et s’ils n’arrivent pas à s’entendre ce sera, à la fin, au parlement fédéral de régler cette question. J’espère vraiment ne pas devoir en arriver là.

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