«Ce n’est pas une loi pour protéger la nature, mais pour promouvoir des investissements»

Dans une interview avec La Liberté, le Conseiller Fédéral Albert Rösti parle du projet pour un approvisionnement en électricité sûr, sur lequel on votera en juin.

La Liberté, 22.04.2024

Interview de Guillaume Chillier et Lena Würgler


Qu'est-ce qui guide cette loi: la peur d'une pénurie ou la transition énergétique?

Albert Rösti: Les deux. Mais la priorité, c'est de renforcer notre approvisionnement afin de faire face risque de pénurie. Avec la hausse de la demande en électricité pour la mobilité ou les pompes à chaleur, nous ne pouvons pas attendre vingt ou trente ans avant de construire de nouvelles installations. À moyen et long terme, cette loi contribuera aussi à décarboner le pays, à atteindre le zéro émission net en 2050 et à protéger le climat.

La pénurie annoncée n'a jamais eu lieu et n'aura peut-être jamais lieu. Cet argument ne tient plus...

Si elle n'a pas eu lieu, c'est grâce aux mesures prises rapidement, comme la construction de la centrale de réserve à Birr (AG) ou l'instauration d'une réserve hydrologique. Nous avons aussi eu de la chance que les derniers hivers n'ont pas été très froids. Il y a quelques années, nous partions du principe que la Suisse pouvait importer autant d'électricité que nécessaire, mais tout a changé: les guerres ou le faible rendement des centrales nucléaires françaises ont montré que ce n'est pas toujours possible. Face à de telles inconnues, la Suisse doit renforcer son indépendance en produisant plus d'électricité.

Avec cette réforme, la Suisse sera-t-elle sortie d'affaire?

La loi fera en tout cas avancer les choses. Elle définit les conditions cadres qui facilitent les investissements dans de nouvelles installations, notamment dans les 16 projets hydroélectriques inscrits dans la loi, qui sont la priorité. Ils permettent d'augmenter la production d'énergie quand nous en avons le plus besoin, soit en hiver.

Vous prétendez concilier environnement et production d'électricité. Un tour de magie!

Ces deux aspects sont indispensables à une économie durable. Avec cette loi, nous avons trouvé le chemin entre production électrique et impact minimal sur l'environnement. Prenez les projets hydrauliques: lors d'une table ronde, organisations de protection de l'environnement, de défense des pêcheurs, producteurs d'énergie, cantons et Confédération ont sélectionné les projets répondant le mieux à ces deux critères parmi une trentaine. Ils sont désormais inscrits dans la loi. Cette loi est un véritable compromis: d'un côté, il n'y a ni taxes, ni obligations, et de l'autre, les débits résiduels des cours d'eau sont garantis. Tant la droite que la gauche ont obtenu des garanties.

La loi permet de baisser les débits résiduels en cas de pénurie...

Le but premier de la loi n'est pas de protéger la nature, mais de créer les conditions pour promouvoir les investissements dans les énergies renouvelables. Il s'agit de créer des incitations, tout en maintenant une certaine protection. Si l'impact environnemental d'un projet est trop grand, le Tribunal fédéral pourra toujours dire non.

Pour avancer avec l'énergie renouvelable, la seule solution est-elle de forcer le passage?

Depuis des décennies, nous parlons d'énergie renouvelable mais il a été très peu construit dans ce secteur, sauf pour les panneaux solaires. Les entreprises électriques se sont engagées à l'étranger car elles ne pouvaient pas s'assurer que leurs coûteux projets allaient aboutir en Suisse. Avec cette loi, elles ont davantage de garanties car, en principe, pour les grands projets d'importance nationale, l'intérêt de la production électrique prime. Le droit de recours reste, mais les juges devront trouver des arguments forts pour refuser un projet.

Le Conseil fédéral pourra décider de favoriser même de petites installations. N'est-ce pas lui donner trop de pouvoir?

Je ne vois pas comment un petit projet pourrait, un jour, être considéré comme d'importance nationale. J'ai pointé cette contradiction lors du débat, mais le parlement a voulu conserver cette disposition.

Vous menez en avant l'énergie hydraulique, or 45 térawatt-heure (TWh) doivent aussi être produits par l'éolien ou le solaire. C'est beaucoup...

Oui. Le plus grand potentiel réside dans la pose des panneaux solaires sur les toits et les façades des bâtiments, ou sur les installations comme les parois antibruit. Pour les toitures plus petites, il n'y a pas d'obligation mais leur couverture se fait naturellement: chaque année, 1,5 TWh supplémentaire d'énergie photovoltaïque est produit, et cela s'accélère. Les parcs solaires alpins et les éoliennes servent quant à eux en premier lieu à produire de l'énergie en hiver, lorsque le brouillard couvre le Plateau.

Le projet de centrale hydroélectrique du Trift (BE) va toucher une région naturelle préservée. L'équilibre que vous vantez est-il vraiment respecté?

Les experts et les grandes associations tels Pro Natura et le WWF ont estimé que ce projet pouvait être réalisé. Dans la région du Trift, il y a déjà de nombreux barrages, comme celui du Grimsel, et le rapport entre investissement et production d'électricité est excellent.

Vous touchez quand même à l'identité et au patrimoine helvétique...

Je ne pense pas. La moitié des projets hydrauliques ont été écartés car ils n'étaient pas équilibrés. Cela dit, il faut être honnête: chaque projet aura un impact sur la nature. Mais nous suivons la volonté populaire de sortir des énergies fossiles. Et pour cela, nous misons sur l'hydraulique, le solaire, la biomasse et l'éolien, des énergies à disposition en Suisse.

Et le nucléaire?

Les centrales actuelles vont continuer de fournir de l'électricité tant que la sécurité sera assurée. La loi nous interdit cependant d'en construire de nouvelles. Pour la changer, il faudrait un vote populaire. Une initiative Stop black-out dans ce sens a été déposée et le Conseil fédéral n'a pas encore pris position. Toutefois, même si la loi était changée, il faut savoir que construire une centrale nucléaire prend une vingtaine d'années. Nous n'avons pas ce temps pour trouver les moyens pour faire face à une pénurie.

Si la population dit non le 9 juin, que faites-vous?

Même si j'affronte la votation avec du respect, je suis confiant car la population comprend la nécessité de produire plus d'électricité. Ce que je sais, c'est qu'un non rendra la Suisse encore plus dépendante de l'étranger.

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Suisse pour inaction climatique, alors même que la loi que vous défendez est vendue comme une action pour le climat...

Depuis la plainte des recourants en 2016, la Suisse est sortie du nucléaire et a inscrit l'objectif du zéro net d'émission d'ici 2050. Il y a maintenant cette loi qui accélère le remplacement des énergies fossiles. La Suisse a pris de nombreuses mesures. Et à la fin, c'est la population qui décide.

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