«En politique, rien n'est jamais noir ou blanc»

Politique énergétique et environnementale, SSR: Interview du conseiller fédéral Albert Rösti

Le Matin Dimanche, 02.04.2023
Interview: Florent Quiquerez


Avant d’évoquer vos débuts, parlons de l’actualité. Vendredi, deux trains ont été renversés par le vent. Comment a réagi le ministre des Transports que vous êtes?

J’ai été surpris. Le vent était très fort mais il est encore trop tôt pour savoir si c’est vraiment cela la cause. La police mène l’enquête et il est probable que le Service d’enquête de sécurité de la Confédération procède aussi à des investigations. Les prescriptions fédérales relatives aux chemins de fer ne fixent pas de dispositions particulières concernant la conduite par vent fort. Il faudra analyser la situation. Mes pensées vont aux passagers qui ont été blessés ou choqués. J’espère que la personne qui se trouve dans un état grave se rétablira vite. Cela étant dit, le train reste l’un des moyens de transport les plus sûrs.

Revenons à vous. Cent jours, ça suffit pour se sentir conseiller fédéral?

Ça suffit pour sentir les responsabilités et le poids de la fonction.

Est-ce qu’on vous regarde différemment dans la rue?

Les jeunes me reconnaissent. Sans doute parce qu’on parle du Conseil fédéral à l’école. Avant, quand j’étais président de l’UDC, c’étaient les adultes qui me saluaient. Parfois, j’aimerais être un peu plus anonyme, car je n’ai pas toujours le temps de discuter ou de prendre des selfies. Mais la plupart du temps, le contact avec la population est très agréable. Les gens sont gentils, c’est sûrement parce qu’en trois mois je n’ai eu le temps de fâcher personne.

Avez-vous été surpris par l’ampleur du travail?

J’ai toujours été conscient que cela entraînerait un énorme travail. Ce qui m’a surpris, c’est le rythme. Les gens passent les uns après les autres dans mon bureau. Je n’ai plus les moments de répit que j’avais quand j’étais en déplacement. Vous enchaînez les séances toutes les heures, voire les demi-heures. Et ce ne sont pas des réunions où vous pouvez être passif. Vous devez être là pour décider.

Comment vous ressourcez-vous?

Je m’octroie quelques heures le week-end pour me reposer avec mon épouse. Je fais un peu de sport, mais à ces moments-là, j’apprécie aussi de ne rien faire. Être tranquille sur le canapé, ça permet de vraiment déconnecter.

Être conseiller fédéral, c’est avoir des secrets. Est-ce que vous vous confiez à votre épouse?

Nous racontons nos journées. C’est très important dans une relation qu’il y ait ce partage. Elle me parle de ses voyages (ndlr: elle est hôtesse de l’air) et moi du Conseil fédéral. Par contre, il y a des choses dont je ne peux pas parler. Elle le comprend très bien.

Vous avez déjà été confronté à une crise majeure avec Credit Suisse. Est-ce qu’on doute dans ces moments-là?

Oui, ce sont des décisions très difficiles à prendre, car il reste toujours une part d’incertitude. Nous avions différents scénarios sur la table, mais nous avons dû faire face à une situation évoluant très rapidement dans les derniers jours. Aujourd’hui, je peux dire qu’après ces quatre jours de négociations l’ensemble du Conseil fédéral était convaincu d’avoir pris la solution la moins mauvaise pour la Suisse et la stabilité des marchés financiers. En fait, il n’y avait pas d’alternative.

Lors de votre conférence de presse vendredi, vous n’avez presque pas parlé de climat ou de biodiversité. Serez-vous ministre de l’Énergie avant d’être celui de l’Environnement?

Non. Mais dans un département aussi grand que le mien, le chef doit être là où les défis sont les plus urgents. Aujourd’hui, c’est l’approvisionnement énergétique. C’est pour cela que j’ai mis ce thème en avant. Mais j’ai aussi parlé de protection de la nature et du paysage et de la nécessité d’avoir une certaine équité entre villes et campagnes. On ne peut faire peser sur les seules régions rurales la responsabilité d’assurer la biodiversité. Elles doivent aussi pouvoir se développer. Pour le fils de paysan que je suis, conserver les meilleures terres arables pour produire, c’est important.

On a beaucoup parlé de black-out et de l’hiver de tous les dangers. Il n’y a rien eu. Aujourd’hui, pouvez-vous rassurer les gens?

Si nous n’avons pas eu de problème, c’est que nous avons pris des mesures d’économie qui ont porté leurs fruits et que l’hiver a été plutôt doux. Je n’ai pas envie de faire peur aux gens, mais la situation reste tendue. On ne sait pas quelles seront les températures l’hiver prochain et tout dépendra aussi de la capacité des pays européens à reconstituer leurs réserves de gaz.

En juin, vous défendrez en votation la loi sur le climat que vous avez combattue au parlement. C’est schizophrénique, non?

J’y ai beaucoup réfléchi. Je vais défendre la position du Conseil fédéral, c’est clair, je l’ai même fait lors de l’assemblée de mon parti à Meyrin. En politique, rien n’est jamais noir ou blanc. Je vais mettre plus en avant certains arguments, comme le remplacement des chauffages électriques grâce aux subventions ou la possibilité de prendre des mesures de protection pour faire face aux effets du changement climatique. Et la Suisse s’est engagée à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050.

Les Verts vous considèrent comme leur pire cauchemar. Arrivez-vous à travailler avec eux?

Bien sûr! J’ai reçu récemment leur groupe parlementaire pour discuter. Je pense les avoir rassurés. Je ne vais pas faire la révolution. La politique fédérale est comme un paquebot dont on peut tout au plus ajuster un peu la route; en ce moment, le focus est sur la production d’énergie. C’est aussi dans l’intérêt des Verts: c’est en sortant des énergies fossiles que l’on pourra conserver la biodiversité. Mais essuyer des critiques appartient à la fonction de conseiller fédéral.

Vous avez toujours refusé de fermer la porte au nucléaire. Comment cela va-t-il se traduire dans votre politique?

Nous devons sortir des énergies fossiles, c’est indiscutable. La priorité absolue, c’est d’augmenter rapidement la production d’énergie renouvelable, ici, chez nous. Nous n’y arriverons qu’avec le solaire, l’hydraulique, l’éolien et le biogaz. Je ne veux pas perdre de temps avec des discussions qui ne mèneront à rien. Mais à plus long terme, nous devons rester ouverts à des nouvelles technologies, ça peut être la géothermie, l’hydrogène.

Ou le nucléaire...

Je ne ferme la porte à aucune technologie.

Parmi les dossiers chauds, il y a la gare de Lausanne. Que dites-vous aux Romands en colère face à ce nouveau retard dans les travaux?

Je comprends leur insatisfaction. L’Office fédéral des transports a constaté des problèmes de statique et que la planification prévoyait des quais trop étroits. Or, on ne peut pas lésiner sur la sécurité, ni construire des quais qui seraient trop petits pour faire face aux besoins à la fin des travaux. C’est regrettable de devoir attendre quatre ans de plus, mais il n’y a pas d’autres solutions.

Vous le promettez, le dossier est en haut de la pile?

Je suis très sensible à ce dossier et peux vous assurer que je m’engagerai personnellement pour que la planification et les phases administratives se fassent le plus vite possible. Mais il faut reconnaître que d’autres gares connaissent des problèmes similaires: Berne, Bâle ou Lucerne. Ce sont là des projets très complexes.

«La SSR doit avoir un comportement neutre»

La SSR est de plus en plus critiquée. Est-ce justifié?

J’attends de la SSR qu’elle ait un comportement neutre du point de vue politique. Et s’il y a des commentaires à faire, je les fais directement, pas dans les médias. Comme chef du Detec, j’ai régulièrement des rencontres avec les dirigeants de la SSR. La discussion est aimable et correcte.

Dans un paysage médiatique qui se transforme si vite, est-ce que sa taille doit être revue à la baisse?

La digitalisation bouleverse les choses. Je suis pour un média de service public, mais la question de ce qui peut être réalisé par les médias privés doit être posée. De même que celle des coûts. Ces derniers ne devraient en tout cas pas augmenter.

Qu’allez-vous faire de l’initiative qui veut une redevance à 200 francs?

Vous comprendrez que je ne vais pas me prononcer sur un texte qui n’a pas encore été déposé et au sujet duquel le Conseil fédéral n’a pas discuté.

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