«La situation est clairement meilleure que l’année dernière sur le plan de l’électricité»

Politique énergétique, SSR, le loup: Interview du conseiller fédéral Albert Rösti

Le Temps, 16.09.2023
Interview: Philippe Boeglin, David Haeberli


Le récent vote négatif des Valaisans signifie-t-il pour vous la fin des projets de centrales solaires alpines?

Non, pas du tout. Il faut prendre acte de cette décision démocratique. Mais elle ne marque pas la fin du solaire alpin car ce choix concernait les procédures valaisannes. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans les communes où existent des projets concrets validés par les autorités, le vote de la semaine dernière a été favorable. Je comprends les craintes des gens qui ne veulent pas de parcs solaires dans des biotopes ou des zones agricoles. En ce sens, je suis persuadé que nous allons dans la bonne direction avec notre loi fédérale sur un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables. On y dit que les cantons doivent définir les régions où il est possible de produire de l’énergie solaire. Cela signifie qu’il y en a d’autres où ce n’est pas possible.

Ne faut-il pas introduire une obligation de poser des panneaux sur les toits?

Je n’ai jamais été en faveur des obligations. Regardez le vote sur la loi CO2 en 2021: les taxes et les obligations entraînent un refus du peuple. Il faut savoir persuader les gens que la transition énergétique est nécessaire. Quand je vois le développement des installations solaires, je me dis que ça va dans le bon sens. On va de record en record. L’année dernière, le photovoltaïque a généré un térawattheure supplémentaire. Cette année, ce sera encore plus. Aujourd’hui, si un privé doit remplacer son chauffage, il installe une pompe à chaleur ou un système à pellets. C’est désormais ancré dans les mentalités. Mais rendre cela obligatoire va trop loin. Le grand défi est d’avoir assez d’électricité en hiver. Pour y parvenir, il faut donc un mix de parcs solaires dans les Alpes, d’éoliennes et un accroissement de la production d’énergie hydraulique.

L’hiver approche. A quel niveau se trouvent les réserves d’énergie?

La situation est plutôt bonne actuellement. Les réserves hydrauliques affichent un bon niveau. L’industrie du gaz met en place des réserves pour l’hiver. Tous les mécanismes destinés à assurer notre approvisionnement en cas de besoin sont prêts, comme les centrales de réserve à Birr (AG), Cornaux ou Monthey. Mais nous espérons ne pas avoir besoin de les activer. Pour le moment, les stocks de gaz sont assez pleins, ce qui permet à l’Allemagne de produire de l’électricité. En France, 60% des centrales nucléaires fonctionnent alors que l’année dernière, c’était environ 30%. Je suis plutôt optimiste pour cet hiver, même si on ne peut jamais écarter la possibilité que tous les risques existants s’accumulent: un hiver très froid; aucun gaz en provenance de la Russie – car aujourd’hui, il y a quand même passablement de gaz naturel liquéfié qui en provient –; un problème en France; une panne dans nos centrales nucléaires.

Donc la situation est meilleure qu’il y a un an?

On peut clairement le dire, oui. L’Elcom [autorité fédérale indépendante de régulation dans le domaine de l’électricité, ndlr] et Swissgrid [société responsable du transport de l’électricité, ndlr] le confirment. Mon collègue ministre de l’Economie Guy Parmelin et moi dirigeons un comité de pilotage réunissant les acteurs clés de la branche énergétique, et ce constat y est largement partagé.

Pourtant, on vient d’annoncer des hausses de prix de l’électricité. C’est difficile pour les consommateurs, non?

Oui, je comprends la préoccupation des ménages. Tous ne sont pas frappés par les hausses de tarifs, mais chez certains, il manque quelques centaines de francs à la fin de l’année et ce n’est pas agréable. C’est en partie une question d’offre et de demande. Le niveau actuel des prix vient du fait que certaines entreprises électriques achètent leur courant une année ou deux à l’avance. Les prix d’achat étaient élevés et se répercutent sur les prix de vente. Pour y remédier, la nouvelle loi exige des entreprises une diversification des achats pour réduire les risques. Nous aimerions aussi que l’énergie produite en Suisse soit vendue prioritairement aux petits consommateurs, qui bénéficieraient ainsi de prix plus stables. C’est sûr, les prix m’inquiètent, mais ils sont de la compétence des entreprises, qui appartiennent aux cantons et aux communes. Moi, je peux agir seulement sur des éléments de régulation. Et aider à mettre en place les conditions pour qu’on produise plus afin de faire baisser les prix.

Produire, c’est bien, mais on peut aussi économiser. Pourquoi n’arrive-t-on pas à inclure dans la loi des règles pour que les entreprises soient contraintes à plus d’efficacité?

C’est clair, l’électricité la moins chère est celle qui n’est pas consommée. Le Conseil fédéral souhaite que les entreprises électriques soient contraintes à développer un marché d’efficience: à chaque vente de courant électrique, les distributeurs devraient vendre en même temps des mesures d’efficacité équivalant à 2% du montant. C’est un marché: les gens sont prêts à payer pour réduire leur consommation. J’espère que cette proposition restera dans la loi encore en discussion au parlement. La branche rechigne un peu, les entreprises veulent bien économiser, mais sans y être forcées par la loi.

Les distributeurs ont acheté beaucoup d’électricité quand les prix étaient élevés. Ils ont depuis baissé, mais les consommateurs n’en profitent pas. Ne sont-ils pas prisonniers des distributeurs?

Oui, les petits clients sont captifs s’ils sont dans l’approvisionnement de base et non sur le marché libre. Mais l’année dernière, ils en ont énormément profité, il ne faut pas l’oublier. Vous avez raison, aujourd’hui, les privés vont payer plus. La hausse moyenne sera de 18%. Mais l’année dernière, sans approvisionnement de base, tout le monde aurait été livré aux fluctuations du marché, avec de fortes augmentations. Le système n’est donc pas si mauvais. Surtout si on le corrige selon la nouvelle loi en discussion, qui permet une ouverture partielle du marché.

On sait qu’un accord avec l’Union européenne sur l’électricité peut fournir une partie de la solution. Allez-vous activement rechercher cet accord?

Un accord sur l’électricité faciliterait notre travail, c’est absolument clair. Le mieux serait de pouvoir négocier un accord technique. Tout le monde en profiterait. Il faut savoir par exemple que l’hiver dernier, nous avons dû intervenir trois fois pour aider l’Allemagne à éviter une pénurie d’électricité. Le problème, c’est que Bruxelles n’est pas prêt à négocier au niveau technique sans avoir résolu les questions institutionnelles d’abord, pour lesquelles le Conseil fédéral est en train de sonder les acteurs en vue d’un mandat de négociation.

Vous souhaitez donc, à l’inverse de votre parti, trouver une solution institutionnelle avec l’UE, dont l’accord sur l’électricité dépend…

Je veux surtout souligner qu’un accord sur l’électricité est un outil qui nous aiderait dans la situation actuelle, mais qui ne nous garantit pas l’approvisionnement. S’il y avait une pénurie d’énergie en Europe, un accord ne nous aiderait en rien. Il ne faut donc pas un accord à tout prix. Je vais tout faire avec mon département pour inclure dans ce paquet un accord sur l’électricité. Et là, je suis sûr qu’on va se trouver avec l’Union européenne. Mais je ne vais pas dire qu’il faut tout faire pour nouer cet accord.

Certains élus aimeraient créer une forme de subvention pour le nucléaire. Qu’en pensez-vous?

Il est primordial que l’on ne connaisse pas un arrêt soudain des centrales nucléaires à cause des conditions de rentabilité – ce qui a poussé BKW à débrancher Mühleberg. Notre système ne supporterait pas la fermeture soudaine d’une centrale. Ce serait vraiment grave. Dans cette phase de transition, nous avons besoin de notre parc nucléaire. Aujourd’hui, un subventionnement est inutile car les prix sont assez hauts pour réaliser les investissements nécessaires pour assurer la sécurité. A l’heure actuelle, tout le monde est d’avis que les centrales peuvent avoir une durée de vie totale de soixante ans au moins. Cela signifie une prolongation d’environ dix ans par rapport à ce qu’on envisageait autrefois.

Lors de la récente conférence nationale sur la mobilité, vous avez dit vouloir investir dans chaque tronçon où la voiture est moins concurrentielle que le train…

C’est une interprétation large de mes propos. Ils portaient sur la perspective Rail 2050: dépenser des milliards pour gagner trois minutes sur le trajet d’une grande ligne comme Genève-Zurich, cela n’a pas de sens. Il vaut mieux améliorer l’offre dans les agglomérations. Mais j’ai aussi beaucoup de projets visant à investir sur les grands axes autoroutiers d’ici 2050, parce que les bouchons provoquent beaucoup de ralentissements. Voilà ce que j’ai voulu dire.

Concernant l’initiative qui veut réduire la redevance SSR à 200 francs, que vous souteniez comme parlementaire, vous êtes très attendu avec un éventuel contre-projet…

Les réflexions sont en cours mais la décision n’est pas prise. J’ai toujours dit que je soutenais l’idée d’un service public enraciné dans toutes les régions linguistiques; quatre langues, quatre cultures qui me tiennent à cœur. Cela dit, la SSR doit aussi être efficace. Le Conseil fédéral se prononcera dans les semaines qui viennent.

Demander une baisse de la redevance, cela amènera inévitablement à une perte de qualité dans ces quatre régions, non?

Non, pas forcément. Le renouvellement de la concession de la SSR va être discuté en même temps. Les questions sont délicates: qu’est ce qui peut être fourni par les privés? Quels programmes peuvent-ils être réalisés uniquement par le service public? Il faut différencier. S’il y a des prestations qui peuvent être assurées par les privés, c’est plutôt à eux de le faire. Mais je ne dis pas que j’ai choisi une option plutôt qu’une autre. C’est encore trop tôt pour le dire.

L’ordonnance fédérale sur le tir du loup a fâché dans le canton de Vaud. Quelle est votre réaction?

Vaud ne connaît pas la pression que vivent les Grisons ou le Valais, où le développement des loups est exponentiel. La Suisse compte actuellement 31 meutes, soit 300 loups environ. A titre de comparaison, en 2020, il y avait onze meutes et quelque 100 spécimens en Suisse. Il faut réagir, sinon nous aurons un problème et je veux à tout prix éviter un accident impliquant des êtres humains.

Mais vous voulez quand même faciliter le tir des loups…

Le parlement a adopté une révision de la loi afin d’améliorer la protection du bétail et de la population. Aujourd’hui, c’est assez compliqué d’éloigner une meute, il faut réunir beaucoup de critères: elle doit avoir attaqué et tué un certain nombre d’animaux ou mis gravement en danger des personnes, et les loups doivent être très proches d’un village. Sinon, on ne peut rien faire. Nous voulons compléter ces règles. Les spécialistes me disent qu’une régulation préventive permettra aussi d’intimider les loups, afin qu’ils ne s’approchent pas trop des humains et des animaux de rente. Nous visons un quota minimal de 12 meutes dans toute la Suisse. Si on passait en dessous, on ne pourrait abattre que les jeunes. Je tiens à maintenir le statut protégé de l’espèce, assuré par la Convention de Berne.

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